Inventaire déraisonné
12 – 28 mai 2022 . Station V, Bayonne  

Une exposition de Thibault Tourmente

L’inventaire déraisonné est une démarche autant qu’une édition, qui consiste en la collecte empirique d’images, issue de publications documentaires, encyclopédiques, d’un temps où l’image imprimée était incontournable. L’inventaire trace une voie entre civilisation passée, rites, corps médicalisés, dépouilles, elle laisse émerger une mythologie entêtante et fragile. Sont exposées les images découpées originales, ainsi que des gravures d’après plusieurs images assemblées, selon le même dispositif intuitif d’affichage.

Thibault Tourmente vit et travaille dans les Landes. Praticien de l’image trouvée, il élabore des formats reproductibles sous la forme de fanzines auto-édités.

Le protocole est simple. Recueillir des ouvrages abandonnés dans la rue et en découper certaines photos. Puis choisir et coller 2427 photos pour remplir de manière arbitraire et équilibrée 420 feuilles Canson de format A4 (soit 12 fanzines de 35 pages). Le compte est là. L’Inventaire Déraisonné est terminé. Il est en partie accroché, sans ordre, bord à bord sur le mur. Le reste est une pile de feuilles. C’est un ensemble qui fascine. On cherche des rapprochements de formes, une signification dans ces images d’architectures, de corps, de machines, d’anatomies, d’yeux, d’objets, de statues. Mais le regard se perd vite, s’affole, se laisse prendre par la multitude, par les hasards. Les images ne cherchent pas à séduire. Elles montrent un certain état du monde, tel qu’il est dans ses beautés, ses horreurs parfois, sa banalité souvent.

Quand on accepte de ne pas en comprendre le sens, retour au départ. Toutes ces photos pré-existaient, dispersées dans de nombreux livres. D’ailleurs, ce ne sont pas des photos mais plutôt des images découpées, en noir et blanc. On peut observer une subtile déclinaison de coloris blancs, de beiges, de gris, de noirs. La matérialité de l’image collée renvoie à la réalité même de ce qui a existé à un moment donné.

Et nous faisons partie de ce monde. Tout cela nous connecte, nous visiteurs devant ces feuilles, nous avec ceux qui ont lu les livres, nous avec ceux qui ont pris la photo, nous avec l’objet lui-même, avec l’individu, le bâtiment, le paysage. En regardant cet inventaire, des flux se déploient ainsi à partir de chaque image vers chaque réalité, à partir du présent dans la galerie vers différents passés ailleurs. Ces ramifications dessinent un monde que l’on partage. Paradoxalement, ces images nous éloignent de l’idée même de représentation et nous rapprochent finalement de la réalité des choses. Et c’est là que l’idée de disparition intervient. Tout cela fut. L’impermanence. La fragilité. L’éphémère. Une vanité. Sauf quelques statues de marbre.

Thibault Tourmente

En ces temps nouveaux d’obscurantisme et de violence, Thibault Tourmente propose un magistral inventaire qui nous relie tous dans l’espace du monde et dans la profondeur du temps. Quand la porte de la Station V s’ouvre, le bruit de la ville se fait entendre et participe à l’expérience. Les images entrent dans une pulsation. Au sol, un Walkman envoie des rythmes et des vibrations. Tout se rejoint.
Nous sommes ensemble dans un battement, un souffle.